Épisode 5 — 26.11.2020

Le Visiteur

Depuis les recoins reculés, très reculés de l’atelier, voici que la Bande à Bodoc est sortie de l’ombre et qu’un des leurs a constitué la chronique suivante !

Voilà des jours que je m’attèle à réaliser une multitude de tâches plus minutieuses les unes que les autres, entre le rivetage des plaques du cockpit, le câblage électrique et la fabrication de détails à n’en plus finir. J’en ai perdu tout sens de temps et d’espace.

Je ne suis pas certain qu’il en soit de même pour Jean Bodoc : il navigue entre les changements d’échelles, les plans qui se dessinent à une allure folle sans jamais être posés sur papier et l’évaluation continuelle du temps restant. On peut parfois le voir lever la tête, un éclair traversant ses lunettes :

« Fichue vitesse de la lumière ! »

C'est bien la seule limite qu’il semble connaître !

Il était probablement dans une lointaine, fort lointaine galaxie de son esprit lorsqu’un BOUM ! se fait entendre : un chargement de colle a dégringolé en emportant un container de chutes de carton, faisant disparaître Bodoc pour un instant. Je lève la tête et prends un moment pour examiner les alentours et finir frappé par ce constat : le hangar-atelier n’est plus qu’une étendue cartonnée qui avait presque tout recouvert. Plusieurs minutes sont nécessaires au déblayage de Bodoc et, une fois assis sur un monticule pour reprendre ses esprits, je crois discerner à ses deux vitres oculaires que cette réalité l’a doublement frappé : la visite est imminente !

Photos de l'épisode par Julie Lefort

Un cutter s’arrête alors, puis un autre - le chantier fait silence. Bodoc se lève et se poste sur un échafaudage, le tout sans un son, comme si chaque atome était forcé de retenir son souffle. Il lève un doigt - puis un cercle obscure prend la place de sa bouche, et… comment dire… jaillit un torrent de mots qui trébuchent les uns sur les autres, puis des exclamations et même des points d’exclamations s’entrecroisent. Il est impossible de reconstituer ce qui se dit mais le message est miraculeusement clair.

Immédiatement cela fait place au fourmillement des stormtroopers, s’agitant frénétiquement pour ranger ce qui pouvait l’être, au bruit démultiplié de leurs pas. Je suis complètement dépassé. Néanmoins, en les voyant se précipiter sur le moindre bout de carton, voilà que je suis saisi par la vocation de l’instant et que je vole d’un bout à l’autre du hangar pour indiquer ce qui doit rester à sa place, ce qui peut être enlevé.

Au milieu de toute cette tempête cartonique, Bodoc s’occupe de ce qu’il avait depuis trop longtemps repoussé : l’assemblage du vaisseau. Il s’attèle ainsi au découpage et à l’intégration finale de ces parties restées jusque-là séparées, à coup d’allers-retours pointilleux pour ajuster les bras au cockpit mais également à l’aile réalisée. Les bandes de surveillance ont été récupérées pour capter un fragment de la scène (note : temps réel) :



Le timing semble parfait : ces nappes d’agitation se synchronisent soudainement, tous se relâchent en un même soupir. Soupir qui se prolonge pour s'engouffrer dans une étrange anomalie spatiale. Tout comme mes pensées qui, désormais embrouillées, s’accumulent près du sas d’entrée. Je frotte mes yeux mais rien ne fait - par les binocles de Bodoc ! Le moment tant attendu approche, lentement, suivi à chaque seconde d’un râle de métal.

La suite de la visite n’a malheureusement pas pu être consignée. Non pas qu’entre en jeu une quelconque notion de confidentialité - nous savons tous combien les secrets sont faits pour être partagés ! Il y a que ces mots ne voudront pas s’écrire et qu’à la moindre tentative d’en attacher un sur le papier, il détale. La persuasion de certains esprits est plus forte que la super-colle elle-même - surtout lorsque l’air vient à manquer rien que d’y penser.

Qu’à cela ne tienne ! Nous avons pu obtenir les droits du shooting réalisé : chaque photo a été sélectionnée et commentée par le Seigneur Noir en personne !

« Effectivement. Je sens beaucoup de peur de ce côté du carton. »

« Au fond des yeux, le siège d’une âme obscure. »

« Jusqu’à maintenant votre travail est très satisfaisant - mais attention au moindre oubli ! Une fois terminé, j'inspecterai chaque détail personnellement. »

« Voir cette trappe fait remonter d’anciens souvenirs. Seul le côté obscur de la Force est capable de retenir mes larmes. »

« A gauche est-ce bien la position pour activer mon wookie-toaster ? »

« L’inspection est terminée, vous pouvez tout remettre en ordre. Bodoc, puis-je vous demander un café en attendant ? Sans lait ni sucre, bien entendu. »


La bande à Bodoc